Emilio Salgari 1862 - 1911
Très apprécié en Italie, Emilio Salgari est à peu près inconnu en France. On ignore souvent qu'il est à l'origine du cycle des "Sandokan", qui fit les délices du téléspectateur des années 70. Cet auteur fut pourtant traduit à maintes reprises en français autrefois : on trouve des nombre de ses textes aux éditions Tallandier (Le Tigre de Mompracem, La cité du roi lépreux, Les mystères de la jungle noire, etc.), et ses œuvres ont également connu un certain succès dans les collections de livres de prix.Tallandier est l'éditeur exclusif des oeuvres de Salgari.
Salgari est né à Vérone en 1862. Il étudia sans grand succès à l'institut naval de Venise. Alors que cet auteur n'a guère (jamais?) voyagé sur l'eau, son intérêt pour l'univers maritime se retrouve dans les motifs de ses oeuvres, où les flibustiers, les corsaires et les pirates sont une composante essentielle. Mais il faudrait ajouter l'influence de la littérature d'aventures antérieure, celle de Gustave Aimard, Mayne Reid, Jules Verne, Alexandre Dumas ou Louis Boussenard...

Son premier récit, I Selvaggi della Papuasia paraît en 1883 dans le journal milanais La Valigia. Son premier roman, La Rosa del Dong-Giang (publié d'abord sous le nom de Tay-See) sort la même année. Suivront plus de 80 romans d'aventures, écrits à un rythme étourdissant (25 ans !) pour répondre à d'incessants besoins d'argent, auxquels il faut ajouter quelques 150 récits et nouvelles et de nombreux articles de vulgarisation scientifique, sans compter le travail de traduction (Salgari a ainsi traduit plusieurs oeuvre de Louis Boussenard). Le rythme de l'écriture et la publication en feuilleton expliquent la forme particulière des oeuvres de Salgari, sans temps morts et aux très nombreux rebondissements, jusqu'à devenir parfois un peu répétitif. Ils expliquent également que les romans se ressemblent parfois. On considère en général que l' "âge d'or" de Salgari recouvre la période qui court de 1894 à 1908. Par la suite, l'état dépressif de l'auteur affecte la qualité de son oeuvre, avant de le conduire au suicide en 1911.
Couverture des Robinsons italiens de Salgari,
version française d'I Robinson italiani.
Le roman d'aventures maritimes
Le roman d'aventures maritimes bénéficie d'une riche généalogie. Sans le faire remonter à L'Odyssée de Homère, on peut le lier à deux œuvres majeures: Narrative of Arthur Gordon Pym de Poe, et le Robinson Crusoe de Defoe.

1. Robinson Crusoe est à l'origine de toute une part du roman d'aventures, ce qu'on appelle la "robinsonnade", c'est à dire l'ensemble de ces récits qui décrivent la survie d'un homme isolé dans un espace hostile. Des œuvres de ce type ont fleuri tout au long du XIXème siècle, à commencer par Les Robinsons Suisses de Wyss (traduit en anglais par Kingston). On trouve un Robinson russe, une Robinsonnette (par Granström), des Robinsons italiens (par Emilio Salgari), une Ecole des Robinsons (Jules Verne)… Outre les œuvres comprenant explicitement le nom de Robinson (ou celui de son acolyte, comme c'est le cas dans le Vendredi ou les limbes du Pacifique de Michel Tournier), il faut compter de nombreux récits reprenant les thèmes de Defoe: Jules Verne s'y est illustré à plusieurs reprises (Deux ans de vacances, L'Eternel Adam, L'Ile mystérieuse), Mayne Reid a décliné le thèmes dans tous les décors imaginables (The Cliff Climbers, Robinsonnade à la montagne, The Forest Exiles, en Amazonie, The Desert Home dans le désert, etc.).


Enfin, il faut noter qu'il existe de nombreux passages de récits dont les thèmes font penser à une Robinsonnade: dans King Solomon's Mines de Rider Haggard, Sir Henry retrouve son frère en Robinson du désert, le premier Tarzan (de Burroughs) débute par une Robinsonnade (la survie du couple Greystoke sur la côte africaine), et Stevenson lui-même a apporté, de façon ironique, son écot au mythe, en décrivant la difficile survie de David Balfour sur une île séparée de l'Ecosse par un bras de mer qu'on peut traverser à gué (Kidnapped).

Si la Robinsonnade a connu un tel succès, c'est qu'elle offre à l'aventure les conditions d'avènement les plus pures : ici, la survie est poussée à son point extrême: il s'agit de résister au froid, à la faim, à la soif, à la fatigue et au découragement. La nature tout entière semble se liguer contre le héros. Il est seul face à un monde hostile: le naufragé est - par définition - isolé. La civilisation est le plus souvent réduite à portion congrue: une caisse d'outils, quelques armes, parfois plus (comme dans L'Ile mystérieuse, où la liste des objets récoltés prend des proportions impressionnantes), parfois moins (L'Eternel Adam). Aussi, l'opposition qui existe dans tout roman d'aventures entre civilisation et sauvagerie est ici poussée à son maximum (pour en savoir plus sur le rapport civilisation/sauvagerie, ou sur les règles de l'aventure, voir ma page sur la forme du roman d'aventures).

Reste que le thème de la Robinsonnade est plus proche du roman d'aventures géographiques que du roman d'aventures maritimes: le voyage en mer ne semble souvent là que pour conduire au naufrage, et le naufrage mène naturellement au cœur véritable du récit: la survie sur l'île déserte. La Robinsonnade est moins liée à la mer qu'à l'isolement dans un espace hostile qu'on ne peut pas quitter. La preuve en est qu'il existe de nombreuses robinsonnades qui ne se déroulent pas sur une île: on l'a vu, Mayne Reid (avec The Desert Home) et Haggard (avec King Solomon's Mines), ont décrit les aventures de Robinsons des sables. Mais d'autres décors peuvent servir à ce type d'aventures: La Princesse des airs de Gustave Le Rouge peut être lu comme une Robinsonnade dans les montagnes; The Forest Exiles de Mayne Reid est une robinsonnade en forêt, etc. et la science fiction elle-même a décrit à plusieurs reprises les aventures de Robinsons de l'espace.
2. L'influence d'Edgar Poe sur le développement du roman d'aventures maritimes est déjà plus important. On y trouve en effet la plupart des épisodes propres à ces récits: la tempête, le naufrage, le cannibalisme, la mutinerie, la découverte d'îles inconnues… ne manque que l'attaque des pirates et l'on découvre l'essentiel des thèmes du genre). La plupart des récits nés par la suite reprennent ces thèmes, y ajoutant parfois des intrigues originales (comme, dans The Sea Wolf, de London, la réflexion sur le surhomme, permise par la structure hiérarchisée de cette mini société qu'est le bateau; ou dans Typhoon, de Conrad, où la tempête est l'occasion pour l'auteur de réfléchir sur la nature du courage, de la responsabilité).



Une belle image de naufrage tirée du Chancellor de Jules Verne.


Jules Verne s'inspire dans Le Chancellor de la scène du naufrage / cannibalisme qu'on trouvait dans Pym (déjà présente dans La Salamandre d'Eugène Sue). Mais à l'origine de ces récits, il y a surtout l'épisode traumatisant du radeau de la Méduse…

Les récits de mutinerie sont également nombreux: on citera en premier chef The Mutiny of the Elsinore de Jack London. Ici aussi, il existe des sources moins connues, mais sans doute considérables. L'épisode de la mutinerie du Bounty a ainsi beaucoup influencé la littérature, à commencer par The Island, dernière pièce de Lord Byron, et le récit qu'en fit Jules Verne (Les révoltés de la Bounty).

Enfin, obéissant partiellement à ce second type de romans d'aventures maritimes, il faut citer la multitude de récits de pirates et de corsaires qui a nourri la littérature populaire. La série des Sandokan de Salgari en est sans doute le meilleur exemple. Dans ces oeuvres, l'auteur italien répète inlassablement les mêmes procédés, les mêmes aventures: poursuites, combats, victoires… Rafael Sabatini (The Sea Hawk, The Black Swan) suit le même schéma, comme Louis Noir, dans Surcouf.

Les récits de pirates ont cependant une origine littéraire plus complexe que le seul modèle de Pym: les caractéristiques du pirate (romantique, tourmenté, parfois cruel) sont redevables des textes que Defoe lui a consacrées, mais aussi à The Corsair de Byron, ou à The Red Rover de Fenimore Cooper.

Le roman d'aventures maritimes a connu un succès considérable à partir des années 1830: en France, avec Eugène Sue, Corbière ou de la Landelle, en Grande Bretagne avec Marryat (Mr Midshipman Easy, Peter Simple), et aux Etats Unis avec Fenimore Cooper ou Herman Melville (Moby Dick, White Jacket). Il faut noter que le genre se développe au moment où naît la marine à vapeur. Les auteurs mettent très souvent en scène dans leurs récits le débat entre marine à l'ancienne et marine moderne. Si le récit maritime ne propose pas nécessairement un exotisme historique (The Ebb Tide de Stevenson, comme la série des Sandokan de Salgari ou les récits de Conrad sont contemporains au temps de l'écriture), il se situe fréquemment dans le passé, au temps de la marine à voile. C'est sans doute que les auteurs voyaient dans cette époque la grande période de la marine (il suffit de lire les remarques nostalgiques qu'on trouve chez Conrad: pour lui, la grande marine est morte), celle où l'aventure était encore possible: après tout, une des principales origines du roman d'aventures n'est-elle pas à chercher dans les récits de voyage des grands explorateurs? D'autres auteurs, comme Jules Verne, prennent parti pour la marine moderne (la fin du Tour du Monde en 80 jours est en cela explicite).

Pourquoi les aventures maritimes choisissent-elles si souvent de prendre pour cadre l'époque de la marine à voile? C'est sans doute qu'avec les progrès techniques, la mythologie du marin (courageux, respectueux, simple, parfois alcoolique et violent, mais profondément moral) est essentiellement passée: la marine à vapeur ne demande pas les mêmes compétences, la même discipline. Ce monde est également passé parce que l'époque des explorateurs et des terrae incognitae à conquérir est terminée: le temps est maintenant aux colons et aux pacificateurs (qu'on retrouve dans le roman d'aventures exotiques). L'aventure est terminée, et un autre mythe maritime, le pirate (nourri de Byron et de Cooper), semble avoir disparu (sauf à situer le récit, comme Salgari, en Malaisie). On n'espère plus retrouver des coffres enterrés en hâte dans une île perdue .

Ainsi, le roman d'aventures maritimes, quand il se réfère à une époque passée, est nourri d'une longue tradition culturelle, celle des récits de marins (The Phantom Ship de Marryat s'inspire d'une légende ancienne qui a également influencé Poe), celle de l'imaginaire romantique (Byron…), celle encore d'un âge d'or de courage et de danger… Après tout, Captains Courageous de Kipling et The Sea Wolf de London n'opposent-ils pas l'un comme l'autre l'espace mondain et creux du Transatlantique moderne, et la vie rude, à l'ancienne, des marins? C'est encore ce courage mythique du marin que ne retrouve pas Lord Jim, dans le roman du même nom de Conrad. Mais Conrad montre que ce monde héroïque n'est qu'une dangereuse illusion. Car si les romans d'aventures maritimes se situent souvent dans le passé, c'est qu'ils ne renvoient pas tant à un espace réel qu'à un monde fantasmatique, la société du navire réduite à sa plus simple expression, la mer, sorte de no man's land au fonctionnement simplifié, et le pirate, réduit à "une barbe en pantalons bouffants littéralement hérissés de pistolets" (Stevenson, "Une humble remontrance"). L'exotisme historique et l'exotisme géographique ne sont plus qu'un pur espace fantasmatique, fait de culture et de stéréotypes, avec lesquels le récit joue.

Ce document est extrait d'un site trés documenté sur le "Roman d'aventure" que vous pouvez consulter http://www.roman-daventures.info