La « Robinsonnade »

« La Robinsonnade » a pour modèle originel le Robinson Crusoé de Daniel Defoe (1719) traduit en français dés 1720 inspiré d’une histoire réelle, celle du marin écossais Alexander Selkirk abandonné à sa demande sur une île de l’archipel Juan Fernandez au large des côtes du Chili, île où il vivra seul de 1704 à 1709.

Defoe, lui, fait vivre son Robinson seul pendant... vingt huit ans avant qu’il ne rencontre Vendredi qu’il arrache aux anthropophages. Dès lors, le ton est donné, c’est celui du roman d’aventure. Le mythe de l’île déserte et le développement de l’ingéniosité de l’homme face à une nature hostile et sauvage font le reste. Ces éléments réunis vont assurer un succès immédiat à l’ouvrage initial. Ainsi, dans son ouvrage "Les livres, les enfants, les hommes" publié en 1967, Paul HAZARD peut-il affirmer à propos du Robinson de DEFOE :« Il y a eu, dans le monde entier, peu de livres plus fameux. Car il a été choisi par le peuple immense des enfants, peuple fidèle qui n’oublie pas facilement ses dieux. De Foe ne l’avait pas écrit pour les petits ? Les petits l’ont pris pour eux, sans cérémonie... »L’année même de sa parution, par l’intermédiaire de la littérature de colportage, la littérature pour la jeunesse s’empare de Robinson.

De nombreuses variantes voient le jour. Pas un pays qui ne veuille son Robinson et, même si certains regrettent au travers des adaptations pour la jeunesse l’appauvrissement , - effrayant parfois dans ses visées moralisatrices-, du roman initial, il est intéressant de s' interroger sur les causes d’un tel succès auprès des jeunes enfants ? Intéressant peut-être aussi de réfléchir aux critères qui, au regard de la permanence des réécritures depuis le XVIIIe siècle, ont fait de ce genre un genre littéraire particulier et somme toute un « classique » de la littérature jeunesse.

La Robinsonnade est d’abord un genre littéraire né au XVIIIe siècle, un siècle qui s’interroge de façon aiguë sur le débat philosophique nature et culture.
Ainsi, dans L’Emile ou de l’éducation (1762), Jean Jacques ROUSSEAU écrit-il :« Puisqu’il nous faut absolument des livres, il en existe un qui fournit, à mon gré, le plus heureux traité d’éducation naturelle. Ce livre sera le premier que lira mon Emile ; seul il composera durant longtemps toute sa bibliothèque, et il y tiendra toujours une place distinguée.(...) Il sera le texte auquel tous nos entretiens sur les sciences naturelles ne serviront que de commentaire. Il servira d’épreuve durant nos progrès à l’état de notre jugement ; et tant que notre goût ne sera pas gâté, sa lecture nous plaira toujours. Quel est donc ce merveilleux livre ? Est-ce Aristote ? Est-ce Pline ? Est-ce Buffon ? Non : c’est Robinson Crusoé. » [2]Et plus loin, il poursuit :« Ce roman débarrassé de tout son fatras, commençant au naufrage de Robinson prés de son île et finissant à l’arrivée du vaisseau qui vient l’en tirer, sera tout à la fois l’amusement et l’instruction d’Emile à l’époque dont il est ici question. Je veux que la tête lui en tourne, qu’il s’occupe sans cesse de son château, de ses chèvres, de ses plantations ; qu’il apprenne en détail, non dans des livres, mais sur les choses, tout ce qu’il faut savoir en pareil cas ; qu’il pense être Robinson lui-même (...) je veux qu’il s’inquiète des mesures à prendre, si ceci ou cela venait à lui manquer, qu’il examine la conduite de son héros, qu’il cherche s’il n’a rien omis, s’il n’y avait rien de mieux à faire ; qu’il marque attentivement ses fautes et qu’il en profite pour ne pas y tomber lui-même en pareil cas... »

Le motif de l’île

Le motif de l’île apparaît comme ressort essentiel. Il est commun à l’ensemble des robinsonnades et semble incontournable

Enyd BLYTON La série " Club des cinq"

« Le motif de l’île figure en bonne place dans l’œuvre d’Enyd BLYTON, et ce n’est pas un hasard s’il se trouve à l’origine de grandes séries (de la même façon que le trésor de l’île inaugure le Club des cinq, L’Ile verte, L’Ile aux mouettes servent de points de départ à deux cycles de Mystères) : l’auteur exploite en cela une tradition bien établie du roman d’aventures illustrée notamment par Robinson Crusoé et par l’Ile au trésor ». (MATHIEU-COLAS Marie-Pierre et Michel, Dossier Club des cinq, Magnard/L’Ecole, 1983) Enyd BLYTON ne disait-elle pas en évoquant ses rêveries d’enfant : « ...je vivais de nombreuses aventures ; celle que je préférais était de me retrouver naufragée sur une île : je devais faire comme Robinson Crusoé et me construire une maison, quelquefois dans un arbre, d’autrefois dans une grotte »... (The Story of my life)
L’île vierge et déserte, parfois allégorie du Paradis perdu, est aussi métaphore : un jardin, un coin du métro, un morceau de l’espace peuvent devenir l’île de Robinson. La survie sur l’île : l’importance de la cueillette, de la chasse et de la pêche, l’étude du cadre spatio-temporel, les descriptions de la faune et de la flore, l’ingéniosité déployée par l’homme face à l’adversité sont autant de sujets d’étude possibles.

Johann Rudolph Wyss - Le Robinson Suisse

Pour la Famille Arnold - Les Robinsons Suisses - l'île s'avère être une forme de paradis idyllique, où les animaux de tous les continents coexistent d’une manière aussi improbable qu’impossible (les kangourous australiens, les pingouins antarctiques, les lions et les éléphants africains, les loups nord-américains, et les ours sibériens, les boas constrictors sud-américains, sans oublier tapirs, toucans, flamants roses et autres autruches).Il n’est pas étonnant que la majeure partie du roman soit basée sur leur lutte pour la survie avec une perpétuelle quête de nouveauté tant en matière de faune que de flore, et en continuelle recherche d’exploitation des ressources par ailleurs innombrables de cette île de rêve ». Chaque jour donne l’occasion de trouver un nouvel animal, de découvrir une nouvelle richesse minérale ou agricole ou d’élaborer une nouvelle technique d’exploitation d’un produit. C’est quotidiennement que la famille de Wyss semble avoir acquérir une connaissance inépuisable sur la façon employer au mieux les ressources de l’île pour créer leur propre civilisation.